Gaupillat & Gévelot : une histoire industrielle et familiale au cœur du quartier des Bruyères
Sommaire
Les capsuleries Gaupillat et Gévelot incarnent un pan méconnu du passé industriel de Sèvres. Une capsule, dans l’industrie de l’armement, désignait un dispositif d’allumage des munitions et la capsulerie le lieu de fabrication. À l’occasion de l’inauguration prochaine de l’école de musique du 111, rue des Bruyères (SUM), à la place des anciennes cantines de l’usine, les archives reviennent sur cette histoire méconnue qui a marqué l’âme du quartier et de ses habitants.
Une histoire scientifique et industrielle
En 1788, le chimiste français Claude-Louis Berthollet découvre les propriétés explosives du fulmate de mercure mais son application technique ne verra le jour qu’après la Révolution. En 1823, Joseph-Marin Gévelot « armurier, arquebusier » du Roi dépose le brevet d’amorce au fulminate de mercure, avant d’installer sa capsulerie à Issy-les-Moulineaux. D’abord testé et utilisé comme composant explosif, ce procédé remplace le silex comme un moyen de déclencher l’ignition de la poudre utilisée depuis le XVIème siècle.
François André Gaupillat est le premier d’une lignée de dirigeants des établissements Gaupillat. En 1835, il s’installe dans le quartier ancien dit du Bas-Meudon, au 41 route de Vaugirard, comme « annexe de la capsulerie des Bruyères ». Il créé son établissement en réunissant trois petites capsuleries : la société Gaupillat, Illig, Guïndorff et Massé. Les capsules de cuivre sont fabriquées sur le site du Bas-Meudon, avant d’être acheminées par charrette jusqu’à la capsulerie des Bruyères, où l’on procède au remplissage des capsules.
Bien que concurrentes, les sociétés Gaupillat et Gévelot prospèrent. En 1844, le site des Bruyères emploie 160 personnes, dont 90 hommes et 70 femmes. Les enfants en dessous de 8 ans n’y travaillent pas comme la prévoit la loi du 22 mars 1841, première loi réglementant le travail des mineurs en France.
Une véritable saga familiale
Avec André Gaupillat, l’activité prend de plus en plus d’importance et la société rachète les terrains mitoyens à la fabrique. Durant l’Exposition universelle de 1878, son établissement est considéré comme un « fabricant important de cartouches de chasse et de guerre ». Le 41 route de Vaugirard et son annexe des Bruyères produisent des dispositifs pour l’amorçage des cartouches à percussion centrale et pour les amorces à dynamites.
Victor Ernest Gaupillat poursuit l’œuvre de son père. En 1884, il créé avec Jules Gévelot, la Société Française des Munitions de Chasse, de Tir et de Guerre (SFM). Cette association est surtout connue pour ses cartouches de chasse. A son décès, il laisse l’entreprise familiale à ses deux fils, Marcel et Gabriel qui créent un nouvel établissement pour armes portatives.
En 1890, Marcel Gaupillat fait agrandir l’usine sur l’emplacement de la demeure familiale du 43 route de Vaugirard pour la fabrication des douilles en laiton des canons à tir rapide. Les ventes sont faites soit à l’Etat soit à des industriels fabricants des armes. La compagnie connaît un second souffle durant la Première Guerre Mondiale du fait de l’effort de guerre : ils produisent pour les établissements Hotchkiss et la Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée (SFCM). En 1919, Marcel obtient l’autorisation d’établir une voie étroite Décauville sur laquelle doit circuler des locomotives et des wagonnets. À la différence de leur père, les frères Gaupillat font produire sur commandes et à partir de tracés fournis par les commanditaires. En plus de leur activité industrielle, ils s’adonnent à la spéléologie et participent à la découverte du gouffre du Padirac avec leur cousin Edouard-Alfred Martel.
En 1891, naît Jean Gaupillat, fils héritier de Marcel Gaupillat et de son épouse Anne Bouret. Sous son impulsion, la Société d’étampage et de précision Gaupillat voit le jour en 1928. Ce nouvel établissement se spécialise dans le façonnage à froid des pièces de métal et permet de diversifier les débouchés. C’est ainsi que la Société va se mettre à fabriquer des boulons, des tuyaux de robinet, des pompes à vélos, des étuis publicitaires ou encore des pièces pour l’industrie automobile.
Mais en 1934, Jean qui est passionné par les courses automobiles, décède en participant au Grand Prix de Dieppe. L’année suivante, l’entreprise connaît des difficultés financières du fait de la perte du contrat avec Citroën. Lorsque Marcel Gaupillat s’éteint et avec lui le dernier de la lignée, son principal concurrent et associé, Jules Gévelot rachète les parts de la société familiale. Devenues firmes des entreprises Gévelot en 1939, les sociétés Marcel Gaupillat et de la Société d’étampage de précision n’en continuent pas moins leurs activités au 21, route de Gallardon.
La cessation d’activité
Dès son origine, la fabrique est perçue comme « un dangereux établissement qui saute presque tous les ans ». En 1835, les riverains craignent les accidents et réussissent à faire cesser la manutention de poudre. En 1838, les pouvoirs publics constatent que les transformations demandées lors d’une inspection en 1836 n’ont pas été effectuées. Gaupillat est menacé de fermeture avant de réaliser les travaux.
On répertorie plusieurs accidents tragiques qui surviennent dans les ateliers de fabrication dus principalement à l’utilisation des matériaux très sensibles aux chocs et aux conditions de travail, parfois précaires. En 1953, une explosion terrible se produit aux Bruyères faisant 12 victimes à proximité de l’école communale. Dès lors, la mairie de Sèvres va s’opposer à tout nouvel aménagement. En 1968, Gévelot ferme l’usine des Bruyères et les bâtiments sont démolis quelques années plus tard.
En 1973, l’usine Gévelot d’Issy-les-Moulineaux est à son tour, le théâtre d’un terrible incendie qui ne fait heureusement aucune victime mais qui va précipiter la fin de l’activité. Au début des années 80, la Société Gévelot cède les terrains des Bruyères à la ville de Sèvres. En 2011, l’ancien établissement situé route de Vaugirard est détruit. La Société Gévelot Extrusion poursuit ses activités en tant que premier fabricant européen de pièces forgées de précision pour l’automobile.