Jean-Baptiste Carpeaux, l’énergie du mouvement
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Il y a cent cinquante ans disparaissait Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) dont les œuvres vibrent encore du souffle du Second Empire. Collaborateur à la Manufacture à laquelle il a fourni des modèles de sculptures entre 1869 et 1905, le souvenir de l’artiste demeure bien vivant dans le patrimoine historique de la ville de Sèvres.
Un tempérament ardent
On dit qu’il ne tenait pas en place, qu’il travaillait la glaise comme d’autres mènent un combat. Jean-Baptiste Carpeaux, fils d’un maçon valenciennois, gravit les échelons de l’art avec une ardeur inépuisable. Élève du grand François Rude, il hérite de la fougue romantique de son maître, mais y ajoute une sensibilité presque nerveuse, une fièvre qui ne le quittera jamais.
En 1854, il obtient le prestigieux prix de Rome avec Hector implorant les dieux en faveur de son fils Astyanax. Lors de son séjour à la villa Médicis, il découvre Michel-Ange, le baroque italien et sa puissance expressive. C’est là qu’il imagine Ugolin et ses fils (1857) inspiré de Dante : le désespoir d’un père rendu fou par la faim, pétrifié dans le marbre. Déjà, tout Carpeaux est là — la passion, la souffrance, la beauté tragique.
Mais l’artiste, irascible et exigeant, ne supporte ni les compromis ni la tiédeur. À Rome, il se brouille avec le directeur de la Villa, Victor Schnetz, qui le juge « incapable de faire comme tout le monde ». C’est justement cette singularité qui fera de Carpeaux un créateur hors norme, parfois incompris, mais toujours bouleversant.
Le sculpteur du Second Empire
De retour à Paris en 1862, il réalise le buste de la princesse Mathilde, cousine de Napoléon III et ancienne résidante du Pavillon de Breteuil (actuel BIPM – Bureau international des Poids et Mesures). Cette commande lui ouvre les portes de la famille impériale. Le voilà portraitiste de l’impératrice Eugénie, sculpteur du jeune prince impérial, professeur de dessin à la cour ! Son art séduit par sa vérité, sa vie, sa modernité.
À l’Opéra Garnier, son groupe La Danse (1869) déchaîne les passions : ces nymphes riant et tourbillonnant dans une ronde effrénée sont jugées
« indécentes ». Les bien-pensants s’offusquent, mais le public, lui, est fasciné. L’écrivain Henry James parlera du « magnifique rire enivré du groupe dansant ». Carpeaux, lui, rit de ses détracteurs et poursuit son œuvre, animé par un goût du mouvement et de la lumière qui annonce déjà Rodin.
À la fois sculpteur et peintre, Carpeaux sait tout faire. Il invente même un système d’édition de ses propres œuvres pour les diffuser auprès des amateurs — un précurseur, encore une fois ! Hélas, le génie a un prix : malade, épuisé, il meurt à Courbevoie, le 12 octobre 1875.
Les trésors conservés par la ville
À Sèvres, la sculpture se fait porcelaine, et les chefs-d’œuvre de marbre trouvent une seconde vie dans la blancheur délicate du biscuit.
La Ville conserve plusieurs trésors de l’artiste : un bronze du Prince impérial et son chien, l’espiègle Rieuse aux roses — visibles au public dans la salle de lecture des Archives municipales — ainsi qu’une Marianne qui trône fièrement dans l’hôtel de ville.
Ces œuvres racontent l’artiste mieux que n’importe quel discours.
Carpeaux a su, comme nul autre, faire palpiter la pierre et donner au marbre un cœur qui bat. Cent cinquante ans après sa mort, son rire de pierre, ses visages pleins d’âme et de lumière nous murmurent encore ce message?: la beauté n’est jamais figée, elle est vivante.